AURORE






Origines du projet


Cette recherche de solo est née en 2018, dans le cadre de la formation professionnelle Présence d’Acteurs, au théâtre le Hangar. Je me suis saisie d’une phrase de La folle allure de Christian Bobin

«J’ai oublié de vous dire mon nom. Et bien je m’appelle Aurore, voilà, vous savez tout. Non je plaisante je m’appelle Belladone. Et puis aussi Marie, Ludmilla, Angèle, Emily...».

Cette phrase a fortement résonné en moi et m’a tout de suite inspirée un début de scène en adresse public, où se mêle des questions d’identité, de noms, de solitude, de mensonges. J’ai trouvé le personnage d’une femme plutôt drôle et sympathique, affable, qui tient absolument à distribuer ses cartes de visites, mais qui a des petits bugs de noms et de numéros de téléphones. On ne sait pas bien si elle ment ou si elle se trompe mais on voit bien que quelque chose craque. J’ai par la suite repris ce solo pour travailler différentes auditions, sous le regard de Laurence Riout. Il y avait quelque chose que je n’arrivais pas à lâcher, qui m’excitait toujours autant à proposer. Je l’ai malaxé, rajoutant, enlevant, des éléments… Plus récemment j’ai continué à le travailler dans le cadre de la formation La classe en chantier, deux semaines avec Emmanuel Vérité.

Trois années après la première étape je sens que ce projet est toujours aussi vivace en moi.
J’envisage maintenant sérieusement de vrais temps de recherches dans le désir d’une création.


Intention



Elle part. Elle revient. Elle a oublié. Elle ment. Elle se trompe. Elle se présente. Elle dit n’importe quoi. Elle voudrait qu’on l’appelle. Elle insiste. Elle ment ? Elle s’appelle comment ? Elle distribue son numéro. Elle est seule ? Elle est qui ? Elle est coquine. Elle attend. Elle espère.

Elle se brosse les dents. Elle parle. Elle boit de l’eau dans un aquarium. Elle fume une cigarette dans un aquarium. Elle parle. Elle se raconte. Elle raconte elle et les autres. Elle parle sans doute de biches ou bien d’amour. Elle chute. Elle danse. Elle sourit beaucoup. Elle pleure autant.

La solitude du solo.
La solitude de l’attente.
L’envie d’être plusieurs.
L’envie d’être à plusieurs.

Je m’intéresse, dans cette forme pour l’instant encore en recherche, aux questions de la solitude et de l’identité. Je cherche à connecter, par ce personnage aux milles noms, avec la peur viscérale de la solitude . La profonde nécessité de se sentir aimée et entourée. Quitte à devenir une autre personne, une autre personnalité. Quitte à changer de nom, de vêtements, de corps, de voix, de mots, quitte à faire des compromis. J’essaie de travailler avec cette matière : le besoin de l’autre pour exister . Je regarde la panique de l’absence. La peur du vide. La fuite de soi. J'explore les stratégies qui se trouvent pour ne pas vivre la solitude. Une multitude d’actions et d’états me permettent d’expérimenter cette thématique. Sans que je le souligne cela fait aussi écho à la figure de l’actrice. Elle qui a besoin du regard du public pour exister, elle qui change de noms selon les soirs, elle qui attend, seule, qu’on l’appelle, qu’on lui propose du travail, qui est prête à devenir n’importe qui, qui est multiple.

Je voudrais proposer une forme surprenante. Passer du stand-up fanfaronnant mais sincère au tragique de cette solitude, du rire aux larmes (évidemment), de l’agitation au calme, de l’action à la danse. Différents registres permettent aussi de montrer l'instabilité de ce personnage. Je souhaite que cette forme soit à l'image de nos manières de vivre avec la solitude : parfois apaisées, parfois insoutenables, parfois légères, parfois sérieuses.

Je cherche finalement une sorte d’état du «tout est possible» . Ce personnage en interaction avec le public, avec elle-même ou avec le ciel, parle de solitude, d’amour, de perte, de plannings, de salles de bain, d’animaux, de noms, de souvenirs, de bébés... Sa parole n’a pas d’ordre, ses actions non plus. Elle ère mais est complètement présente. Je la veux touchante. Je la veux vraie et sensible. Je la veux drôle et provocante.


Le plateau



J’ai pour l’instant travaillé plusieurs «séquences». Elles s’appuient parfois sur des actions concrètes de plateau (- se brosser les dents - distribuer des cartes - fumer une cigarette - chanter une chanson - se laver - téléphoner...). Ce sont pour la plupart des actions solitaires, ou pouvant renfermer une potentielle solitude, qu’elle soit concrète ou ressentie. Ces actions m’aident à engager le corps et facilitent l’arrivée «d’états» liés à la solitude. Eux-mêmes me permettent de parler.

Je travaille à partir d’improvisations, avec l’aide du laisser-dire. Cette technique transmise par Lise Avignon durant la formation Présences d’Acteurs au Hangar, permet de connecter avec une «parole fleuve» à l’intérieur de nous. Elle permet à une parole poétique, mémorielle, et non-communicationnelle de jaillir de nos bouches. J’ai essayé de resserrer cette parole autour des thématiques de la perte d’identité, du nom, «d’être appelée», de la solitude et de l’absence. Je travaille avec des laissers-dire encore improvisés et d’autres que j’ai retranscris. Je me sers également de l’écriture de Christophe Tarkos, dont la manière de tourner autour d’un mot, d'une idée, résonne fortement avec l’expérience de la solitude.

Le Petit Bidon – extrait :



«... je voudrais t’embrasser très fort et te dire que je t’aime en regardant les photos, tu restes impassible, je me sens très seule, ne me laisse pas mon amour, je t’aime trop tu sais je ne peux plus te quitter, j’ai besoin de te voir, j’ai été folle de partir, c’est au dessus de mes forces, deux jours que je ne t’ai pas vu, je ne pense qu’à toi et je n’ai goût à rien, ma seule envie est d’entendre ta voix, j’ai beaucoup envie d’être dans tes bras, excuse-moi de me répéter je me rends compte que je t’aime tout entier,...»

Dans cette longue logorrhée faite de mots d'amour mille fois entendus j'essaie de travailler avec la boucle, le fait de tourner en rond (comme un poisson rouge dans son bocal). En jouant sur un rythme très rapide la force de chaque mot s'annule pour ne montrer finalement que le vertige et la panique de se retrouver seule, de perdre l'autre .

Je cherche différents types de paroles et d’adresses. Par exemple dans la séquence où je distribue mes cartes de visites au public, je joue sur une parole très quotidienne , très adressée, que je personnalise et improvise en fonction des réactions du public. J’y développe une légère folie de noms, de numéros de téléphones et de lieux. Je joue sur une apparente aisance et légèreté à donner mes
cartes, à rebondir, à faire de l’humour, à chercher de l’approbation, de la séduction, (le tout en faisant très attention à ne pas envahir les gens), pour finir par déconstruire et craqueler cette gaieté.

«Vous allez m’appeler ? Vous allez m’appeler quand ? Vous allez m’appeler pourquoi ? »

Je profite de ces questions sans réponses, pour défaire, douter, vaciller, et emmener le public dans un autre registre, finalement plus complexe que prévu.

D’autres fois c’est une adresse au ciel , au monde, qui doit sonner. Je voudrais essayer d’aller puiser dans la langue d’auteur.es pour renforcer cette dimension.

Je chercher à travailler avec ce que j’appelle «la coquinerie» . Il s’agit pour moi d’un endroit de jeu où un risque est pris. Certes sans doute pas bien grand à l’échelle mondiale n’exagérons rien, mais suffisamment pour que l’actrice que je suis se sente risquer quelque chose au plateau. Il y a un endroit de bêtise, de jubilation, de jeux, de provocation, de surprise . Ce serait une chose qui me connecte directement à l’intime, au vrai et à la malice. Je cherche à ce que mon personnage soit rempli de cette malice, par ses actes ou ses états.

Je m’appuie aussi de manière très concrète sur le rythme . J’expérimente des fausses entrées-sorties, je joue avec la lenteur ou la vitesse dans mes questions-réponses au public, j’essaie des «fausses fins» de paroles... Ce travail de tensions rythmique est au cœur de la plupart des séquences.

Au point où j’en suis je ne sais pas encore si je dois lier les séquences, ou les présenter séparément, comme le ferait un concert avec des morceaux. Je crois que les deux sont possibles et intéressants. Je les travaille parfois distinctement parfois liées, et je crois que la suite du travail me permettra de trouver la nature de l’articulation entre-elles. Je cherche à créer de nouvelles séquences, à partir d’improvisations ou d’écritures et à aller plus loin dans celles que j'ai déjà.


Valentine Porteneuve



Après une licence d’Arts du Spectacle à l'université de Toulouse et de nombreuses années de pratique du théâtre et de la danse, Valentine intègre la formation professionnelle «Présence d’Acteurs » au Théâtre Le Hangar à Toulouse. Elle décide de la recommencer l’année suivante afin de creuser le travail proposé autour du corps, de la parole, de la poésie et de l'engagement.

Parallèlement, elle co-fonde la Cie de marionnettes et de théâtre de rue En Cours de Route, avec la création de La Traversée, leur premier spectacle. Ces dernières années, elle se forme à la Classe en Chantiers (avec le CRR de Toulouse et les Chantiers Nomades), ainsi qu’avec différents stages auprès de Sylvie Pabiot, Didier Roux, Marceau Deschamps-Segura, Ina Jaich, Antonia Pons-Capo... Dans le cadre de cette formation d'insertion professionnelle elle créé un duo avec Elfi Forey sur la thématique des détails. Elle joue sous la direction de François Rancillac dans Poucet pour les grands, écrit par Gilles Granouillet. Elle joue également dans Casimir et Caroline de Odon Von Horvath, spectacle mis en scène par Théodore Oliver. Passionnée de danse contemporaine, elle poursuit son travail corporel avec la technique Alexander et le taiji. Elle s’intéresse particulièrement à l’écriture de plateau et à la poésie sonore, et cherche comment proposer un théâtre sensible, rythmique et engagé physiquement et
émotionnellement.