Les quatre jumelles
Cie Oui Bizarre

mise en scène
Isabelle Luccioni
distribution en cours d’élaboration
Résidence de recherche

Wolf Boy : Halloween in Harlem, Amy Stein
Wolf Boy / Hallomeen in Harlem, de Amy Stein


Le texte de Copi est court, dense, avec à peine un début, un vague milieu et pas vraiment de fin..il faut donc se mettre à l'écoute , entendre ce qu'il y a à l'intérieur pour le porter à la scène.

C 'est un vertige de mots et de corps qui tombent et se relèvent. Au début de la représentation, il n'y aurait rien que 2 très anciens fauteuils au milieu du plateau allumé on jouerait a faire semblant, comme des fous, et tout d'un coup on déciderait  " d'envoyer la neige" .. effet de théâtre un paysage vaste de neige d'hiver , nordique,avec fourrure et toques.l'Alaska..Un linceul blanc de neige, ou les enfants aiment jouer à se rouler dedans..un linceul ou nous serions des survivants, ou on pourrait faire la fête ( valse, rythme de rave / danse des corps effrénés), faire du feu dans un camp de fortune, jouer a une machine à sous perdu dans la neige...fabriquer nous même la neige, le décor..montrer le théâtre et .. y croire à ce froid tout a coup.. sans y prendre garde. Se faire  avoir par le théâtre, rentrer dans cette histoire improbable et pas vouloir qu'elles meurent ces jumelles, les aimer.Rentrer dans la violence.. alterner entre" je joue, je m'amuse" et je" joue en vrai" comme disent les enfants.

J'entends des chants Purcell( mort de Didon et Enée), des choeurs de 4 jumelles, de la variété idiote, et parfois les voix  des acteurs amplifiées, comme irréelles.je souhaite alterner les moments rapide rythmiquement et lents de manière a ralentir parfois, étirer le tempo répétitif et infernal de ce texte. Comme si en cinéma, je zoomais sur certains moments , pour déréaliser l'atmosphère et perturber la perception, rendre plus étrange certains passages.. jouer a l'inverse certaines situations afin d'élargir l'écoute , de laisser plus d'espace aux spectateurs d'imaginer de faire l'histoire, de laisser les mots résonner en eux. Chacun alors pourra trouver du sens , son histoire, dans ce qu'il voit et entend. La vidéo pourra permettre par moment de dédoubler les personnages ou de faire référence au cinéma. Certes le comique restera très présent , il est indispensable mais pour qu'il ait lieu je pense qu'on ne peut pas rester que sur le coté grand guignol ( travelos perruqués et outranciers ) clowns de cirque qui colle un peu trop a la peau de l'univers de Copi.

Son écriture est profonde, riche, et va très loin a l'intérieur de moi. Elle résonne fort. Elle ouvre des espaces de rêve et de cauchemars, elle ouvre une part d'enfance aussi...de jeux , de rires et de soudaine détresse, de peur enfantine.. de cette fragilité de l'enfant que nous avons a l'intérieur de nous... peut être entendre des loups, ou voir un enfant sur le plateau..seul dans la neige.. dans la nuit. Halloween grotesque.

Dimension du rêve aussi dans le fait qu'une des jumelles devienne aveugle( nous le sommes tous) et sourde..travailler sur l'obscurité parfois.

Copi est souriant dans son pessimisme. Il affronte la réalité, sa quête d'identité est certes violente  mais salutaire... il parle de l'anéantissement du moi mondain, le rôle factice que nous jouons tous les jours au reste du monde, qui est notre protection contre les atteintes extérieures et est en même temps notre principale entrave sur le chemin de notre essence.Les  quatre jumelles veulent tuer et sauver en même temps leurs doubles qui les oppressent et les protègent à la fois. Ce combat, c'est le coeur du dilemme humain. Cela devient burlesque car au bout d'un moment , on ne sait plus qui est qui , qui est mort et qui ressuscite! d'ailleurs , on ne sait plus qui on est ni si on est vivant ou mort dans cette pièce ! Etrange écho parfois à des sensations vécues par chacun de nous...
Quoi qu'il en soit, ça s'embrasse, ça gueule , et ça repart comme en quarante ! La vie résiste, elle est bien là.

Ces quatre se tuent pour avoir le plaisir de se louper et de s'entendre dire " vous avez vu comme elle est vivante!" ou d'être celle qui le dit, dans une sorte d'émerveillement miraculeux. " Je vais te tuer. comment veux tu mourir ? Fais moi dévorer par les chiens."
C 'est un sérieux subtil et paradoxal qu'ont les enfants quand ils jouent à la bagarre.. " Tais toi. tu es morte!".

Ce texte n'est pas très raisonnable certes  mais je crois que c'est le moment de ne plus l'être. Au vu de ce qui se profile à l'horizon... Et l'insolence de Copi, sa liberté, son rire, sont là pour nous rappeler de vivre  et de ne pas se prendre trop au sérieux. Mais de résister !

"Le froid augmente avec la clarté ....Tout sera clair d'une clarté de plus en plus haute et de plus en plus profonde et tout sera froid, d'un froid de plus en plus effroyable... »
C’est une phrase extrait d'un discours de remerciements fait par Thomas Bernhard lors d'une remise de prix par la ville de Brême. L'homme court a sa perte et produit ce qui le détruit.
C'est L'Alaska.(" fermes la porte , il fait froid dehors.., les chiens aboient..").
« Enfin si tu détruis, que ce soit avec des outils nuptiaux" dit René Char.
Célébrons le théâtre dans cet anniversaire de folie ou  Copi nous invite, la fête du théâtre, fêtons la vie,
Restons vivants ,restons ensemble, résistons,  pour venir voir et entendre la cérémonie , jouons encore  et encore comme des enfants, recueillis.
Ne nous quittons pas. Jamais.

Isabelle Luccioni/ Novembre 2014

NB/ je souhaite ouvrir ce spectacle le plus possible a la jeunesse.