ÉCRIT & MIS EN SCÈNE PAR
Justine Duvinage
AVEC
Coline Bulloz et Prune Linon
Note d'intention
Quelque chose s’est brisé entre deux femmes. Un amour absolu a laissé place à une haine incommensurable. Elles tentent pourtant de se remémorer des instants de bonheur, mais c’est quelque chose de putride, un goût amer qui reste dans leur bouche. Obviously laisse place à la souffrance, l’exacerbe, la détourne et s’en moque. Les mots et les corps en font trop, ils débordent de la bouche et dépassent la pensée. La pièce semble se dérouler dans un salon, pourtant nous nous demandons encore où nous sommes : dans les fantasmes des personnages ? Dans leurs corps morcelés ?
L’évidence, c’est ce qui s’impose à l’esprit, avec une telle force que nous n’avons pas besoin de preuve pour connaître la vérité, la réalité. N’est-ce pas cette sensation qui est éprouvée dans le coup de foudre ? Cet amour qui, au premier regard, nous frappe avec une grande rapidité et une extrême impétuosité. Il suffit d’un regard pour être saisi, ravi (capturé et enchanté), par l’apparition de l’image d’un autre qui, sur le champ, fait que l'on tombe amoureux.
Obviously, est la traduction anglaise de l’adverbe évidemment. Le choix de ce titre, vient du désir de traduire textuellement le sentiment de certitude, qui peut apparaître lorsque l’on tombe amoureux. Cependant, l’écrire en anglais la décale pour créer un effet péjoratif. La pièce renverse et malmène le coup de foudre amoureux. Ici, il s’agit, du coup de foudre du désamour. L’évidence est mise au service de la souffrance du sujet amoureux.
« Évidemment mon monde s’écroule. Évidemment je vais rester plantée là ! C’était prévisible »dit un des personnages.
La souffrance amoureuse a un pouvoir insolite d’abstraction (...) Elle peut apparaître très vite comme un en soi, coupé de sa cause, futile. Cause qui s’abolit dans l’oubli : subsiste alors, abstrait, le ressentiment maximal, le désespoir. La souffrance se redouble alors d’un sentiment de folie : le sujet ne sait plus bien à quoi référer sa souffrance, elle devient sans référent, pur signifiant homéostatique et dévastateur.
Roland Barthe, Le discours amoureux
Choix d'écriture
Le texte Obviously, a une structure elliptique, qui annonce la fin et la violence dès le début de la pièce. Le but étant de montrer des bouts de vie, chacun mettant l’accent sur un tournant dans la relation (la rencontre, le désir, la répulsion pour l’autre), le récit n’a pas de réelle narration avec une fin et un début bien visibles. Les scènes sont pensées comme des divagations, des tableaux digressifs, une plongée dans l’intimité et les fantasmes des personnages.
Le parti pris de la pièce est de faire surgir le corps dans l’écriture. Assumer la tension sentimentale que peut faire naître l’amour, entre le bonheur absolu et la souffrance inévitable. Je cherche, par une écriture morcelée, à déconstruire la représentation idéale du couple qui ne se prouverait que dans l’intensité de moment heureux. J’ai choisi pour cela d’écrire des portraits sordides de l’être aimé. Comme par exemple dans la scène 6, C.E.L décrit l’autre comme un être pathétique, qui n’a de cesse de s’empiffrer. Cela se retourne contre elle dans la réplique suivante, où elle la « sent dans ses dents. » L’autre lui a « pourri la bouche ». C’est une écriture de la sensation.
Je te sens dans mes dents. Je suis sûre que c’est toi. Ton souvenir s’amuse à pourrir ma bouche. Il me donne des abcès, des caries, des rages de dents. Il y règne mauvaise haleine douleur et putréfaction, des miasmes ressortent à m’en faire vomir, mes gencives saignent, mes dents se détachent, j’ai peur qu’en toussant je ne les crache. Des champignons ont poussé sur la paroi de mes joues, ils assaillent ma langue devenue jaune et gonflées. Un liquide épais sort de mes yeux. Je sais que c’est toi qui fais ça des restes de toi.