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INTERPRÈTES
Anne Violet, Lise Avignon, Loan Le Dinh, Pierre-Emmanuel Rousselle
MISE EN SCÈNE
Didier Roux
SUR UN ÉCRIT DE
Sébastien Lespinasse
(Éd. Plaine Page, 2017)
Un poème sonore
A la racine, Esthétique de la noyade de Sébastien Lespinasse, long poème paru en 2017 traversé de bout en bout par la tragédie des migrants noyés en Méditerranée.
Formellement, le texte est composé de 4 parties de formes langagières hétérogènes :
• Définition de la noyade : variation poétique sur un principe de dictionnaire proposant 25 définitions de l'acte Se noyer.
• Essai de vague : texte très«sonore», tentative d'écrire la musique des vagues sur la plage par une surabondance de virgules et de mots créés avec les consonnes V, J, G.
• Silence : longue partie - quasiment tout le livre - formée de textes protéiformes d'inégales longueurs. Dès la première lecture certains mots sautent aux yeux du fait de leur utilisation répétée, dessinant déjà un début de dramatisation du poème : silence, puis noie et noyés, épuisement, homme et femme, nom et nombre et enfin pays, béton, bouche.
L'utilisation non conventionnelle des signes de ponctuation – virgule, parenthèse, crochet – est omniprésente et cherche à inscrire dans la page le souffle de la parole, floute les frontières entre écrit et oral, sens et son, liseur et diseur. Poussant ce principe jusqu'à son propre épuisement, cette partie s'achève sur un texte fait uniquement de parenthèses et d'espaces. Plus de mots, ne reste que le souffle.
• Coda : à haute voir : dernière partie, texte unique écrit comme un voyage sonore, enchaînement de mots existants ou inventés (selon le principe des mots-valises) qui commence avec le mot voir et finit avec le mot chut.
Avec des obsessions radicalement contemporaines, Esthétique de la noyade puise de façon explicite auprès des poètes Ghérasim Luca, dont l'oeuvre cherche en permanence un écrit « qui prend corps » et Paul Celan, écrivain de la « contre-langue » marqué par la Shoah. Deux poètes qui, à 24 ans d'écart, mettront fin à leurs jours en se jetant dans la Seine.
Le propos
Ce texte est écrit fin 2015, début 2016, période où les tentes Quechua s'accumulent sur les bord de la Seine et où la photo du petit Aylan hante les mémoires.
Le parcours des personnes migrantes est omniprésent tout au long du poème. Parfois très explicitement - nomination des îles séparant la Libye de la Grèce ; trajet des frontières de la Grèce à celles de l'Angleterre. D'autres fois apparaissant avec plus d'équivoque, les noyés en mer devenant alors porte parole des noyés de l'humanité. Et d'une autre manière, de par cette recherche d'une écriture fondée sur la matérialité de la parole et du souffle, se noyer devient ici, par instants, une expérience limite qui oblige à trouver une autre façon de respirer, de parler, de vivre.
En affirmant – jusque dans le titre calmement provocateur, Esthétique de la noyade - sa quête d'une recherche esthétique et littéraire, Sébastien accepte le paradoxe d'un impossible à raconter et d'un impossible à se taire, dans la droite ligne de Celan et de son écriture au seuil de l’indicible.
Chut est le dernier mot du livre.
Présentation de la Cie
La Belle Cie trace un chemin de théâtre qui n'hésite pas à emprunter à la danse contemporaine, à la musique, à la performance.
A la racine, il y a un désir d'expérimentation de plateau, un envie de répondre par la scène à des préoccupations qui peuvent venir de l'actualité du monde, de pulsion esthétique, d'emportement intime.
Le comédien est le pivot de ce théâtre et le travail avec les acteurs privilégie des appuis rythmiques, physiques et architecturaux. Mise en jeu d’un corps « global » capable de partager du sensible ; mise au travail de l'espace et du temps.
La Belle Cie cherche tout à la fois à parler le monde et à parler son monde. Cette préoccupation l'a souvent éloigné du répertoire purement théâtral et conduit vers les zones de la poésie sonore et de la performance.
Sur la scène, souvent peu de chose et beaucoup de minutie. Un soin particulier est apporté à la structuration de l'espace, aux distances entre les objets et/ou les corps, aux vides et aux mouvements. L'espace a souvent besoin d'espace pour respirer. Les éléments sont pauvres et souvent multiples.
L'obsession est de creuser un théâtre qui fait naitre du commun, un théâtre tissé de rêves et d'idées, un théâtre profondément humain et qui dépasse l'humain : un théâtre poétique où le poème fait chair et la chair est poème.